Ce soir-là,
dans une boîte de nuit avec une forte réputation…
« Rien de ce que je fais n’en vaut la peine, de toute
façon… sauf ça, peut-être. Je sais pas pourquoi j’aime venir ici, comme ça, je
ne me sens pas plus moi-même que d’habitude… mais ça fait presque une semaine
sur deux que je viens, maintenant. J’aime bien le bleu, c’est une belle
couleur… et cette discothèque est tout le temps bleue, j’aime ça… mais c’est
pas la seule raison. Je sais pas pourquoi j’aime venir ici, je saurai jamais
qui je suis, je pense. Si je devais choisir un terme anglais pour décrire ma
vie, je dirais « fucked up »… je devrais peut-être me barrer de cette
foutue ville… si seulement j’avais assez d’argent pour prendre le train… saleté
de SNCF là… »
« Et qu’est ce qui m’a pris de mettre ces fringues…
c’est trop moulant, bien trop moulant, je suis pas ici pour me faire sauter… le
sexe j’aime pas, c’est sale… on ressemble à des animaux et on est ridicules…
j’vois pas ce que les ans aiment au sexe… de toute façon personne ne m’attire,
personne. Y a des gars avec des personnalités sympas, mais ça passe jamais
l’attirance psychique tout ça. »
« Je vais me saouler la gueule et ça ira mieux, comme
d’habitude… je passe ma vie dans les bars et j’ai quasiment connu que ça… bah
tant pis. Je vais peut-être crever d’ivresse ici, ce sera pas bien grave… ce
sera pas une grande perte sur cette terre de merde… sérieusement qui peut me
dire ce qu’il y a de beau sur cette planète ? Les arbres ? Dans
cinquante ans, y en a plus, pareil pour les ‘tits animaux. L’art, ça m’atteint
pas, peut-être la littérature mais ça s’arrête là. Et les êtres humains, qu’ils
aillent tous crever, y en a pas un pour rattraper l’autre, ces bouffons
d’égoïstes. »
Un jeune
garçon s’installa à côté.
« Belle couleur de cheveux… »
Il lui adressa
la parole.
–
Tu n’as pas l’air très à l’aise, ici, c’est la
première fois que tu viens ?
–
Nan.
–
Ah… moi oui… désolé de t’avoir dérangé.
« Merde il est gentil… c’est rare un mec gentil… il
doit être gay… baaaah pourquoi il viendrait ici sinon ? C’est plein de tapettes…
et je l’ai rembarré comme une merde, fait chier… je peux pas le laisser
craintif comme ça… si je discute pas avec lui il va attirer une brute et finir
par se faire violer ! »
–
Pourquoi t’es là ?
–
Je ne sais pas… avoua le garçon. J’ai vu
l’adresse sur Internet et comme je ne fais pas grand-chose de mes soirées, je
me suis dit « pourquoi pas »… et… et toi ?
–
Pour boire j’crois.
–
Ah… tu as des problèmes ?
–
Ouais, je vis, c’est ça le problème.
–
Ce n’est pas comme ça que ça ira mieux…
–
Si si !
Le jeune garçon était surpris par
tant de violence dans les propos de quelqu’un d’aussi frêle. L’ambiance que la
personne donnait ne faisait pas honneur à celle de la boîte en général.
–
Tu ne penses pas que si tu te bouges pour
résoudre tes problèmes, ça ira mieux que de déprimer à boire ?
–
De quoi je me mêle ? J’arrête pas de faire
des heures sup’ pour survivre, j’ai pas de famille, pas d’amis, pas d’amour ou
quelque chose qui y ressemble. J’ai bien le droit de dire que j’ai une vie de
merde, non ?
–
Je ne sais pas… moi je suis étudiant, j’ai
suffisamment d’argent et j’ai plus ou moins des amis… je ne me sens pas comblé
pour autant, fit le rouquin.
–
Car t’es célib’ et tu crois au prince et à la
princesse.
–
C’est drôle ce que tu dis.
« Ah ouais merde c’est vrai qu’on est dans une boîte
gay là…d’ailleurs y a un mec derrière moi qui me matte, pouah c’est vraiment
dégueulasse il me déshabille mentalement là. Je vais me retourner et lui
demander son problème à cet enfoiré de pervers. »
–
T’as un problème ?
–
Que… quoi ? bredouilla l’intéressé
–
Bah tu me reluques depuis tout à l’heure alors
que tu m’intéresses pas, dégage, je te dis ça aussi cash parce que t’es même
pas foutu d’aborder convenablement les gens, c’est dégueulasse de les mater en
attendant qu’ils viennent parler… c’est pas parce que t’es pas moche qu’il faut
pas faire d’effort.
–
…
–
Casse-toi.
Le jeune homme ne demanda pas son
reste et partit assez dégoûté. Le rouquin, décidément hébété d’un caractère
pareil chez une personne, en rajouta.
–
C’est très dur, ce que tu dis aux gens…
–
De quoi je me mêle ?!
–
Comprends un peu les gens… ils viennent ici pour
faire des rencontres, non ?
–
Pourquoi t’es là, toi ?
–
Je ne sais pas…
–
Alors ta gueule.
Il haussa les sourcils, cela
faisait bien longtemps qu’on ne lui avait pas manqué ainsi de respect.
Néanmoins, il était patient, et mine de rien très heureux de sortir ce soir
pour se changer les idées. Il avait osé venir ici, alors que lui non plus ne
savait pas qui il était et quels étaient ses goûts.
–
Je m’appelle Abel, dit le roux.
–
Ok, salut Abel.
–
Comment t’appelles-tu ?
–
J’aime pas mon prénom.
–
Ah… d’accord.
« Cool il insiste pas. Putain j’en ai marre qu’on me
demande mon prénom. J’vais me la jouer Ulysse et dire que je m’appelle personne,
un jour. »
–
J’ai besoin d’air, j’me casse dehors Abdel.
–
C’est Abel.
–
Ah merde, Abel. C’est vrai que t’as pas l’air
très arabe.
« Je ne pense pas que j’aurais les mêmes amis si je
l’étais, d’ailleurs… » pensa le jeune homme.
–
Ciao.
–
Je peux prendre l’air avec toi, inconnu ?
–
Ouaip s’tu veux.
« Ca y est, il va me coller. Ca va qu’il est gentil et
que je kiffe ses cheveux roux. »
Une fois
dehors, tous deux s’assirent sur un banc. La nuit était belle, et la scène
restait bleutée comme elle le portait bien.
–
Pourquoi tu me parles, je suis infâme avec ceux
qui m’adressent la parole.
–
Parce que je ne viens pas non plus pour me faire
draguer ici… je suis moi aussi perdu.
–
Pas autant que moi, t’as l’air bien dans tes
basks’.
–
Oui, c’est vrai, mais je ne sais toujours pas ce
que je veux. J’aurais moi aussi décliné l’invitation de cet homme tout à
l’heure.
–
Mais, euh, Abel… tu sors d’où ?
–
Je vis dans cette ville, mais dans un quartier
que tu ne connais probablement pas…
« Putain c’est vrai qu’il a l’air bizarre… il est
habillé un peu vieux style… »
–
Où vis-tu, toi, inconnu ?
–
Dans un quartier pourri, l’un des pires, y a du
moisi. J’essaie de bouffer quand même des légumes même si manger sainement avec
pas de fric c’est difficile.
–
Je vois… je t’inviterais bien au restaurant, ou
même au supermarché pour tes courses.
–
C’est une technique de drague pourrie là.
–
Pas du tout, j’essaie juste de rendre service.
Tant pis pour toi, si tu es si fauché que ça, tu ne vas pas faire le difficile.
« Il a bien raison, merde alors. Mais il va trop
vouloir me mettre dans son lit après. Faire le gentil c’est une bonne façon de
choper aussi. »
–
C’est étrange, tu as des traits plus féminins
que moi, sourit Abel.
–
Ouais ben ça plaît les traits féminins.
–
Sans doute.
–
Sauf qu’après ils fantasment trop avec ton image
style te rentrer tout et n’importe quoi.
« Je n’ai pas tout saisi et je sens qu’il ne faut pas
que j’y réfléchisse » pensa Abel.
–
Au fait c’est ta vraie couleur ça ?
–
Oui, je sais que c’est trompeur car je n’ai pas
de taches de rousseur… même si j’en ai quelques-unes sur le corps… mais il
faudrait que l’on s’aime pour que tu les voies un jour.
–
Non merci.
–
Merci, râla le jeune garçon.
–
Nan mais j’veux dire que… t’es mignon quand même
hein.
–
Hum… je vais bien le prendre. De toute façon, tu
ne me plais pas beaucoup, malgré tes beaux yeux bleus et tes cheveux blonds…
–
Alors pourquoi tu parles avec moi si tu
veux pas coucher ?
–
Je ne sais pas… fit Abel.
–
Tu sais rien !
–
Je ne pense pas que tu te connaisses mieux,
inconnu.
–
Ouais…
« Connard, moi je t’aime bien, avec ton petit air… je
te plais pas ? T’aimes peut-être les plombiers moustachus style
Mario ?! Qu’est-ce que tu vous là, Abel ? Qui tu vas être dans ma vie
de merde si je te plais pas ? »
–
Tu as l’air aussi compliqué qu’une fille.
–
Va te faire foutre !
–
Ce n’était pas forcément méchant.
–
C’est chiant une fille. Ca geint et ça fait le
contraire de ce que ça pense.
–
Tu geins aussi, inconnu.
–
M’appelle pas inconnu !
–
Tu as refusé de dire ton prénom, il faut bien un
sobriquet…
–
Bon okay je me casse.
« Ultimatum de ouf, je me lève et je commence à partir,
ou du moins faire genre, parce qu’il va faire WTF et me demander de rester.
Trop facile quoi. »
–
Tu pars vraiment ?
–
Ouais, tu me saoules, tu fais ton joli minois et
tu dis que je te plais pas, sale sournois.
–
Je vois. Tu es vexé.
–
NAN ! Mais je me sens pas terrible, ça doit
être l’alcool, alors je rentre.
–
D’accord. Nous reverrons-nous ?
–
Dans tes rêves ! Allez bye Abel.
L’inconnu déguerpit, laissant
Abel seul devant la boîte de nuit. Il trouvait cette personne tout à fait
insupportable, mais il sentait qu’en grattant un peu, il pouvait entrevoir une
grande blessure qu’il fallait guérir à tout prix.
« Mais cela ne me regarde pas, après tout. Et je ne
suis pas tellement concerné… mais c’est toujours intéressant de rencontrer des
gens bizarres… » se dit-il.
« Connard connard connard, tu m’as fait perdre
l’occasion de me saouler la tronche, je file en supérette acheter de quoi
crever chez moi ! » pesta l’inconnu en fuyant.




















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