Quatrièmement ~> 3

        
 Ce soir-là, dans une boîte de nuit avec une forte réputation…

« Rien de ce que je fais n’en vaut la peine, de toute façon… sauf ça, peut-être. Je sais pas pourquoi j’aime venir ici, comme ça, je ne me sens pas plus moi-même que d’habitude… mais ça fait presque une semaine sur deux que je viens, maintenant. J’aime bien le bleu, c’est une belle couleur… et cette discothèque est tout le temps bleue, j’aime ça… mais c’est pas la seule raison. Je sais pas pourquoi j’aime venir ici, je saurai jamais qui je suis, je pense. Si je devais choisir un terme anglais pour décrire ma vie, je dirais « fucked up »… je devrais peut-être me barrer de cette foutue ville… si seulement j’avais assez d’argent pour prendre le train… saleté de SNCF là… »


« Et qu’est ce qui m’a pris de mettre ces fringues… c’est trop moulant, bien trop moulant, je suis pas ici pour me faire sauter… le sexe j’aime pas, c’est sale… on ressemble à des animaux et on est ridicules… j’vois pas ce que les ans aiment au sexe… de toute façon personne ne m’attire, personne. Y a des gars avec des personnalités sympas, mais ça passe jamais l’attirance psychique tout ça. »


« Je vais me saouler la gueule et ça ira mieux, comme d’habitude… je passe ma vie dans les bars et j’ai quasiment connu que ça… bah tant pis. Je vais peut-être crever d’ivresse ici, ce sera pas bien grave… ce sera pas une grande perte sur cette terre de merde… sérieusement qui peut me dire ce qu’il y a de beau sur cette planète ? Les arbres ? Dans cinquante ans, y en a plus, pareil pour les ‘tits animaux. L’art, ça m’atteint pas, peut-être la littérature mais ça s’arrête là. Et les êtres humains, qu’ils aillent tous crever, y en a pas un pour rattraper l’autre, ces bouffons d’égoïstes. »

         Un jeune garçon s’installa à côté.


« Belle couleur de cheveux… »

         Il lui adressa la parole.

              Tu n’as pas l’air très à l’aise, ici, c’est la première fois que tu viens ?
              Nan.
              Ah… moi oui… désolé de t’avoir dérangé.

« Merde il est gentil… c’est rare un mec gentil… il doit être gay… baaaah pourquoi il viendrait ici sinon ? C’est plein de tapettes… et je l’ai rembarré comme une merde, fait chier… je peux pas le laisser craintif comme ça… si je discute pas avec lui il va attirer une brute et finir par se faire violer ! »


              Pourquoi t’es là ?
              Je ne sais pas… avoua le garçon. J’ai vu l’adresse sur Internet et comme je ne fais pas grand-chose de mes soirées, je me suis dit « pourquoi pas »… et… et toi ?
              Pour boire j’crois.
              Ah… tu as des problèmes ?
              Ouais, je vis, c’est ça le problème.
              Ce n’est pas comme ça que ça ira mieux…
              Si si !


Le jeune garçon était surpris par tant de violence dans les propos de quelqu’un d’aussi frêle. L’ambiance que la personne donnait ne faisait pas honneur à celle de la boîte en général.

              Tu ne penses pas que si tu te bouges pour résoudre tes problèmes, ça ira mieux que de déprimer à boire ?
              De quoi je me mêle ? J’arrête pas de faire des heures sup’ pour survivre, j’ai pas de famille, pas d’amis, pas d’amour ou quelque chose qui y ressemble. J’ai bien le droit de dire que j’ai une vie de merde, non ?
              Je ne sais pas… moi je suis étudiant, j’ai suffisamment d’argent et j’ai plus ou moins des amis… je ne me sens pas comblé pour autant, fit le rouquin.
              Car t’es célib’ et tu crois au prince et à la princesse.
              C’est drôle ce que tu dis.


« Ah ouais merde c’est vrai qu’on est dans une boîte gay là…d’ailleurs y a un mec derrière moi qui me matte, pouah c’est vraiment dégueulasse il me déshabille mentalement là. Je vais me retourner et lui demander son problème à cet enfoiré de pervers. »


              T’as un problème ?
              Que… quoi ? bredouilla l’intéressé
              Bah tu me reluques depuis tout à l’heure alors que tu m’intéresses pas, dégage, je te dis ça aussi cash parce que t’es même pas foutu d’aborder convenablement les gens, c’est dégueulasse de les mater en attendant qu’ils viennent parler… c’est pas parce que t’es pas moche qu’il faut pas faire d’effort.
             
              Casse-toi.


Le jeune homme ne demanda pas son reste et partit assez dégoûté. Le rouquin, décidément hébété d’un caractère pareil chez une personne, en rajouta.

              C’est très dur, ce que tu dis aux gens…
              De quoi je me mêle ?!
              Comprends un peu les gens… ils viennent ici pour faire des rencontres, non ?
              Pourquoi t’es là, toi ?
              Je ne sais pas…
              Alors ta gueule.

Il haussa les sourcils, cela faisait bien longtemps qu’on ne lui avait pas manqué ainsi de respect. Néanmoins, il était patient, et mine de rien très heureux de sortir ce soir pour se changer les idées. Il avait osé venir ici, alors que lui non plus ne savait pas qui il était et quels étaient ses goûts.

              Je m’appelle Abel, dit le roux.
              Ok, salut Abel.
              Comment t’appelles-tu ?
              J’aime pas mon prénom.
              Ah… d’accord.

« Cool il insiste pas. Putain j’en ai marre qu’on me demande mon prénom. J’vais me la jouer Ulysse et dire que je m’appelle personne, un jour. »

              J’ai besoin d’air, j’me casse dehors Abdel.
              C’est Abel.
              Ah merde, Abel. C’est vrai que t’as pas l’air très arabe.

« Je ne pense pas que j’aurais les mêmes amis si je l’étais, d’ailleurs… » pensa le jeune homme.

              Ciao.
              Je peux prendre l’air avec toi, inconnu ?
              Ouaip s’tu veux.

« Ca y est, il va me coller. Ca va qu’il est gentil et que je kiffe ses cheveux roux. »

         Une fois dehors, tous deux s’assirent sur un banc. La nuit était belle, et la scène restait bleutée comme elle le portait bien.


              Pourquoi tu me parles, je suis infâme avec ceux qui m’adressent la parole.
              Parce que je ne viens pas non plus pour me faire draguer ici… je suis moi aussi perdu.
              Pas autant que moi, t’as l’air bien dans tes basks’.
              Oui, c’est vrai, mais je ne sais toujours pas ce que je veux. J’aurais moi aussi décliné l’invitation de cet homme tout à l’heure.
              Mais, euh, Abel… tu sors d’où ?
              Je vis dans cette ville, mais dans un quartier que tu ne connais probablement pas…

« Putain c’est vrai qu’il a l’air bizarre… il est habillé un peu vieux style… »


              Où vis-tu, toi, inconnu ?
              Dans un quartier pourri, l’un des pires, y a du moisi. J’essaie de bouffer quand même des légumes même si manger sainement avec pas de fric c’est difficile.
              Je vois… je t’inviterais bien au restaurant, ou même au supermarché pour tes courses.


              C’est une technique de drague pourrie là.
              Pas du tout, j’essaie juste de rendre service. Tant pis pour toi, si tu es si fauché que ça, tu ne vas pas faire le difficile.

« Il a bien raison, merde alors. Mais il va trop vouloir me mettre dans son lit après. Faire le gentil c’est une bonne façon de choper aussi. »


              C’est étrange, tu as des traits plus féminins que moi, sourit Abel.
              Ouais ben ça plaît les traits féminins.
              Sans doute.
              Sauf qu’après ils fantasment trop avec ton image style te rentrer tout et n’importe quoi.

« Je n’ai pas tout saisi et je sens qu’il ne faut pas que j’y réfléchisse » pensa Abel.

              Au fait c’est ta vraie couleur ça ?
              Oui, je sais que c’est trompeur car je n’ai pas de taches de rousseur… même si j’en ai quelques-unes sur le corps… mais il faudrait que l’on s’aime pour que tu les voies un jour.
              Non merci.


              Merci, râla le jeune garçon.
              Nan mais j’veux dire que… t’es mignon quand même hein.
              Hum… je vais bien le prendre. De toute façon, tu ne me plais pas beaucoup, malgré tes beaux yeux bleus et tes cheveux blonds…
              Alors pourquoi tu parles avec moi si tu veux pas coucher ?
              Je ne sais pas… fit Abel.
              Tu sais rien !
              Je ne pense pas que tu te connaisses mieux, inconnu.
              Ouais…


« Connard, moi je t’aime bien, avec ton petit air… je te plais pas ? T’aimes peut-être les plombiers moustachus style Mario ?! Qu’est-ce que tu vous là, Abel ? Qui tu vas être dans ma vie de merde si je te plais pas ? »

              Tu as l’air aussi compliqué qu’une fille.
              Va te faire foutre !
              Ce n’était pas forcément méchant.
              C’est chiant une fille. Ca geint et ça fait le contraire de ce que ça pense.
              Tu geins aussi, inconnu.
              M’appelle pas inconnu !
              Tu as refusé de dire ton prénom, il faut bien un sobriquet…
              Bon okay je me casse.


« Ultimatum de ouf, je me lève et je commence à partir, ou du moins faire genre, parce qu’il va faire WTF et me demander de rester. Trop facile quoi. »

              Tu pars vraiment ?
              Ouais, tu me saoules, tu fais ton joli minois et tu dis que je te plais pas, sale sournois.
              Je vois. Tu es vexé.
              NAN ! Mais je me sens pas terrible, ça doit être l’alcool, alors je rentre.
              D’accord. Nous reverrons-nous ?
              Dans tes rêves ! Allez bye Abel.


L’inconnu déguerpit, laissant Abel seul devant la boîte de nuit. Il trouvait cette personne tout à fait insupportable, mais il sentait qu’en grattant un peu, il pouvait entrevoir une grande blessure qu’il fallait guérir à tout prix.

« Mais cela ne me regarde pas, après tout. Et je ne suis pas tellement concerné… mais c’est toujours intéressant de rencontrer des gens bizarres… » se dit-il.

« Connard connard connard, tu m’as fait perdre l’occasion de me saouler la tronche, je file en supérette acheter de quoi crever chez moi ! » pesta l’inconnu en fuyant.


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